Promotion de la santé ou… promotion de la santé ?

Horizon pluriel n°40 /

Anne Laurent

Ce matin, je traverse le parking du CHU d’un pas décidé. Mon cabinet de communication et marketing vient de me confier une mission dont, je dois l’avouer, je ne suis pas certaine d’avoir bien compris l’objectif : accompagner l’hôpital à valoriser son engagement en promotion de la santé. Ce n’est pas que je sois de mauvaise volonté, mais ils ont vraiment besoin de moi sur ce coup-là ? Promotion de la santé et hôpital ? Il n’y a rien qui vous choque ? Je ne sais pas moi, ça vous viendrait à l’idée de faire de la promotion de la maladie à l’hôpital ?

Cela dit… Je décide de m’engager à fond sur ce dossier. Pour une fois que mon travail ne consiste pas à faire la promotion d’un yaourt aux baies de goji, je suis contente. Je me sens pousser des ailes à l’idée de figurer dans le bilan du chargé de la RSE, responsabilité sociétale des entreprises, au sein de l’agence !

© OlgaStrelnikova

Et la santé de l’hôpital ?

Je traverse le parking quand un grand cri me perce les tympans : « Des moyens pour la santé ! On est en grève illimitée ! ». Tiens, ces personnes en blouse blanche ont le sens de la rime. On va peut-être s’entendre… Si j’arrive à franchir la porte d’entrée de l’hôpital face à une foule de gens et de pancartes : « Sidonie, 88 ans, a attendu 14 heures aux urgences sur un brancard », « Oscar, 23 ans, étudiant en médecine en arrêt maladie après un burn-out ! ».

Je lis toutes les pancartes et je me dis que ce n’est peut-être pas si évident, finalement, la santé et l’hôpital et qu’il y a un peu de marketing à faire… Je me fraye un chemin jusqu’à la porte d’entrée. Le vigile me sourit quand je lui dis que je viens pour la réunion sur la promotion de la santé. « Ah oui, je vous attendais ! C’est l’ascenseur jaune, au 12ème étage ».

Malgré cet accueil un peu chahuté, je trouve que cela se passe plutôt bien : les professionnels ont le sens du slogan, le vigile a l’air au courant de la réunion, ce qui est assez rare pour le souligner. 

J’atteins le 12ème étage et l’atmosphère est plutôt feutrée. Je retrouve le gardien, un croissant à la main et une vingtaine de participants dont je ne saurais pas bien dire ce qu’ils font là. Nous nous installons autour de la table et le directeur se présente. « Bonjour, je vous remercie d’être là. Notre réunion a pour objectif de poursuivre notre réflexion sur la promotion de la santé au sein de notre établissement. Je vais demander rapidement à chacun de se présenter avant d’entamer notre travail. »

Tout commence par l’accueil

« Emile, vigile », « Suzanne, représentante des patients », « Gabrielle, agent de service hospitalier », « Fabrice, cadre infirmier », « Roger et Caroline : cuisiniers »… 

Alors là ! Je tente de reprendre mon souffle, mais j’ai un peu le vertige, pourquoi un cuistot en Crocs roses, un vigile mangeur de Croissant, une patiente en béquilles, des médecins et un directeur se retrouvent-ils dans une même réunion ? D’habitude, c’est costume, cravate pour tout le monde et pas un festival de blouses et chaussures de toutes les couleurs. C’est mon tour, je balbutie : « Je suis là pour vous aider à promouvoir la santé ou plutôt à promouvoir la promotion de la santé ». Et là, il se passe un truc auquel je ne m’attendais pas, comme si j’avais mis une pièce dans un juke box : le vigile mangeur de croissants prend la parole : « Des patients et des soignants en sécurité, c’est ça la promotion de la santé ! ». Le cuistot lui répond : « Mais non, c’est dans ma cuisine que les choses se passent, je fais la moitié du boulot ! Faites le test entre un patient nourri de carottes à l’eau et un patient nourri par mon gratin dauphinois ! Je vous le dis, moi, qui va se requinquer le plus vite et vous libérer des lits ! ».

Un peu vexé, un médecin lui répond poliment que « Oui certes, mais la moitié du boulot, c’est un peu exagéré ! Ceux qui sauvent des vies, accompagnent les patients, quand même… ».

Et tout à coup, Suzanne prend la parole : « Nous, c’est l’accueil qui nous importe, c’est trouver l’ascenseur du premier coup pour la radiologie sans risquer de nous perdre dans le couloir parce que personne n’a précisé si l’ascenseur vert, c’était le vert d’eau et ou le vert bouteille ! ».

« Votre santé, notre métier ! » ?

Je suis en train de glisser petit à petit sur ma chaise… J’avais préparé un PowerPoint avec une super campagne et quelques slogans bien pensés : photos d’infirmières au sourire Colgate, médecin à calot a fleurs devant un ascenseur… vert ! Très Grey’s Anatomy. Et quelques propositions : « Embarquez-vous pour la santé, on est votre équipage ! » ou « Votre santé, notre métier ! » (OK, celui-là, je ne me suis pas foulée, mais faire simple est la devise de l’agence).

Je me ressaisis, j’en ai vu d’autres. Pendant que les soignants parlent santé au travail, je tape l’air de rien promotion de la santé sur mon iPhone… Ah oui, c’est confirmé… Je ne peux pas proposer ma campagne « Grey’s Anatomy ». Le directeur met fin à la réunion, en raison de la manifestation du personnel.

Une fois dans ma voiture, je pousse un ouf de soulagement : je viens de gagner quelques jours pour faire la différence entre promotion de la santé et… promotion de la santé. Oui, mais ce n’est pas la peine de me regarder avec votre air désespéré… Vous sauriez promouvoir un yaourt aux baies de goji, vous ?

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