L’urbanisme favorable à la santé (UFS)
Horizon pluriel n°38 /
Quentin Montiege, ingénieur d’études urbanisme et santé et Anne Roué Le Gall, enseignante-chercheuse, École des hautes études en santé publique (EHESP)
Les impacts du changement climatique sur l’environnement et la santé humaine deviennent de plus en plus prégnants au quotidien. La crise sanitaire a d’ailleurs révélé l’importance de ne plus séparer enjeux de santé publique et enjeux environnementaux, ainsi que la nécessité de modifier durablement la manière dont nous concevons les espaces urbains. L’urbanisme favorable à la santé (UFS) constitue une opportunité d’actions à l’échelle des collectivités pour faire face simultanément aux enjeux de santé-environnement et de lutte contre le changement climatique.
Urbanisme, santé et changement climatique
Les rapports du GIEC1, groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, nous rappellent l’urgence de l’action et la responsabilité de tous, en particulier des collectivités, dans la mise en œuvre de stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Ces différents rapports mettent en exergue la disponibilité de données probantes sur l’impact du changement climatique sur l’environnement, mais également sur la santé (troubles de la santé mentale, augmentation des pathologies cardiovasculaires, infectieuses, etc.).
Pourtant, la mise en actions des mesures visant à réduire ses effets ou à s’y adapter peine à s’ancrer dans les pratiques et ce malgré toutes les opportunités que représentent l’aménagement et l’urbanisme.
Dans son dernier rapport de juin 2022, le Haut Conseil pour le climat2 est sans équivoque : « La réponse de la France au changement climatique progresse, mais reste insuffisante ». Il précise qu’« aux échelons locaux, l’aménagement et l’urbanisme sont des leviers insuffisamment mobilisés et mis en cohérence ». Ce constat tend en effet à montrer que les collectivités ne parviennent pas suffisamment à s’approprier ces données.
Les outils et méthodologies développées dans le cadre de l’urbanisme favorable à la santé ont permis une multiplication des initiatives, intégrant les enjeux de santé dans l’urbanisme dans de nombreux territoires. Cependant, ces outils et méthodologies pourraient être davantage accessibles et appropriables. C’est dans cet objectif qu’a été développé le guide ISadOrA3, qui représente une réelle opportunité d’action pour intégrer la santé dans l’aménagement et lutter contre les impacts du changement climatique.
Le guide ISadOrA : une démarche opérationnelle pour le déploiement de l’UFS
Le guide ISadOrA propose une démarche structurante d’accompagnement à l’intégration des enjeux de santé et d’environnement dans les opérations d’aménagement. Il est organisé autour de 15 clefs opérationnelles comprenant des entrées par thématique (îlots de chaleur urbains, mobilités actives et personnes à mobilité réduite, gestion des eaux pluviales, espaces verts et bleus, etc.). Chacune représente de grands objectifs pour l’urbanisme favorable à la santé.
Le guide regroupe 238 bonnes pratiques d’aménagement, pour lesquelles les liens établis avec la santé sont justifiés par des données probantes. Il vise l’accompagnement des professionnels de l’urbanisme et des collectivités à placer la santé et l’environnement comme critères majeurs de décision lors de l’élaboration de toute politique d’aménagement et d’urbanisme.
La démarche ISadOrA est également fédératrice : elle rassemble une multitude d’acteurs et réinterroge la gouvernance des projets urbains. Elle préconise la constitution d’un binôme aménageur/expert en santé (services de la collectivité, agence régionale de santé, etc.) dans la mise en œuvre des opérations d’aménagement.
À titre d’exemple, la ville de Rennes a récemment confié à Territoires publics (aménageur de Rennes Métropole) l’initiation d’une démarche d’urbanisme favorable à la santé, dans le cadre d’une opération de rénovation urbaine : la zone d’aménagement concerté (ZAC) Maurepas Gros-Chêne.
L’EHESP et l’IAUR (institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes) se sont associés à Territoires publics pour accompagner la mise en œuvre de cette démarche au regard des différents enjeux de santé-environnement préalablement identifiés sur le territoire. Ce projet de recherche-action vient questionner les propositions d’aménagement à travers l’élaboration d’un outil d’analyse d’impacts sur la santé. Cet outil proposant différentes entrées (thématiques d’aménagement, déterminants de santé, etc.), a pour objectif d’aider les aménageurs et opérateurs à prendre des décisions favorables à la santé, et ce tout au long de l’opération.
L’urbanisme favorable à la santé est un levier pour développer des pratiques d’aménagement en adéquation avec les stratégies d’atténuation et d’adaptation.
Les collectivités ont un rôle central
Le climat social anxiogène causé par l’intensification des impacts du changement climatique ne doit pas être ignoré, mais il ne doit pas non plus éclipser les nombreuses opportunités que possèdent les collectivités pour agir. L’urgence n’est plus dans le constat d’une nécessité d’action, mais dans l’action elle-même.
Parmi elles, l’urbanisme favorable à la santé représente un réel levier pour développer de nouvelles pratiques d’aménagement en adéquation avec les stratégies d’atténuation et d’adaptation. De plus, il est nécessaire de mieux investir et coordonner les outils réglementaires (PCAET – plan climat air énergie territorial, PPA – plan de protection de l’atmosphère, etc.) mais également de se saisir des outils contractuels tels que le contrat local de santé (CLS) ou le projet partenarial d’aménagement (PPA), etc., pour en faire des leviers complémentaires. Ils consolident le rôle clé des collectivités dans la lutte contre le changement climatique, notamment en matière d’intégration des enjeux de santé et de politiques locales d’adaptation4.
Si la formation et la sensibilisation sont essentielles, elles restent insuffisantes. Les collectivités doivent aussi être soutenues dans le déploiement d’initiatives d’urbanisme favorable à la santé et le développement de démarches expérimentales d’intégration de la santé. Ces processus nécessitent l’identification « d’alliés » sur le territoire pour leur apporter un soutien et permettre une réelle coordination des actions.
L’urbanisme favorable à la santé : définition et mise en œuvre
Basé sur une approche globale des déterminants de santé et du bien-être, l’urbanisme favorable à la santé s’inscrit dans une démarche de santé dans toutes les politiques5. Il vise à encourager des choix d’aménagement et d’urbanisme qui :
- minimisent l’exposition des populations à des facteurs de risque (ex : polluants et nuisances, isolement social, etc.) ;
- maximisent l’exposition à des facteurs de protection (pratique d’activité physique, accès aux espaces verts, etc.) qui présentent des co-bénéfices en termes de santé-environnement et de lutte contre les effets du changement climatique sur la santé.
La mise en œuvre de l’urbanisme favorable à la santé repose sur une pluralité de stratégies d’actions, de politiques publiques et d’acteurs à coordonner aux différentes échelles d’un territoire6.
1 6ème rapport du GIEC, Climate Change 2021 : The Physical Science Basis ; Summary for Policymakers, 2021.
2 Rapport annuel 2022 du Haut Conseil pour le climat, Dépasser les constats, mettre en œuvre les solutions, 2022.
3 Roué Le Gall A., Deloly C., Malez M. (dirs), Le guide ISadOrA : une démarche d’accompagnement à l’intégration des enjeux de santé dans les opérations d’aménagement urbain. EHESP, a-urba, mars 2020 : 352 p.
4 Cébile O., Changement climatique : la nécessité de l’adaptation de l’action publique locale. Intercommunalités de France, Focus environnement, février 2022.
5 OMS, Helsinki Statement on Health in All Policies, 8th Global Conference on Health Promotion, 2014.
6 Roué Le Gall et al., Urbanisme Favorable à la Santé : agir pour la santé, l’environnement et la réduction des inégalités. La Santé en Action, L’urbanisme au service de la santé, mars 2022, n°459 : p.10-15.