« J’ai pas le temps, je lis Horizon Pluriel ! »
Horizon pluriel n°36 /
Je dois l’avouer, j’ai mis du temps à trouver le temps d’écrire cette chronique ! Introduction facile ? Oui, j’en conviens. Avant de prendre la plume, je me suis posé une simple question : « Au fait, combien de temps ai-je perdu cette semaine à essayer d’en gagner ou à parler du temps qui me manque ? ». C’est vrai, on est tous pareil. Vous n’avez jamais remarqué ces conférenciers qui démarrent leur intervention en perdant des minutes précieuses avec leur intro sur le mode : « Faire le tour de la question en cinq minutes n’est pas une chose facile, mais je vais quand même essayer. » ? Vous m’avez démasquée, mon intro un peu pitoyable n’avait d’autre objectif que de gagner un peu de temps… Mais voici enfin mon petit lexique du temps en promotion de la santé.
Temps : unité dont la valeur est fluctuante en fonction de celui ou celle qui la mesure. Ainsi une unité de temps se voit souvent divisée par 2 au moment de son financement et multipliée par 1,5 au moment du passage de la théorie à la pratique ou de l’écriture du projet à sa mise en oeuvre.
Tiens, d’ailleurs, on pourrait en faire un chouette problème de calcul : Nora vient de rédiger un projet pour lequel elle a prévu deux jours soit quatorze heures de temps de travail. Sachant que son financeur considère qu’elle a surévalué de 50 % ce nombre d’heures et que finalement Nora passera deux jours et 6 h 45 sur son projet… quelle est la durée réelle d’une journée de travail en promotion de la santé ?
Année sabbatique : unité de douze mois évoquée le plus souvent par nos confrères canadiens : « Je prends ma sabbatique. ». Rêve de tout professionnel en promotion de la santé et sans doute ailleurs, qui ne verra jamais le jour sauf cas exceptionnel. Remplacée le plus souvent par une journée sabbatique de récupération ou de RTT prise en milieu de semaine avec la ferme intention d’enfin pouvoir répondre à cette injonction des magazines qui nous veulent du bien : « Le secret d’une vie sans stress, prenez du temps pour vous ! ». Injonction à laquelle nous répondons généralement par une tasse de thé dégustée sur notre canapé, l’ordi ouvert sur une page N…1 en même temps que sur notre boîte mail.
… rentrer une « petite » tâche dans un agenda où même un contorsionniste du Cirque du Soleil n’arriverait pas à se glisser.
Cela ne prendra pas beaucoup de temps ou « Oh, tu peux faire ça vite. » : expression commune le plus souvent utilisée pour faire rentrer une « petite » tâche dans un agenda où même un contorsionniste du Cirque du Soleil n’arriverait pas à se glisser. Expression piège absolue qui consiste à mettre en condition tout chargé de projet consciencieux qui verra dans « Tu peux faire ça vite. » l’expression de la reconnaissance de sa capacité à faire vite et bien. Qui d’entre nous résiste à ce petit renforcement de son estime de soi ?
« Tu as un peu de temps ? » Expression glissée le plus souvent entre deux portes. Rarement exprimée dans un face-à-face loyal, cette petite phrase n’appelle qu’une réponse si vous n’êtes pas contorsionniste au Cirque du Soleil : NON ! Un beau « Non » ferme, sans aucune ambiguïté. Un petit « Oui, tout-à-l’heure. » vous exposera à un : « Ce ne sera pas long. ». Et là, fini, le piège s’est refermé ! Un petit « Cela dépend. » vous exposera encore plus à la peine temporelle… Votre interlocuteur l’interprètera comme un vrai OUI et risque d’ajouter : « Tu verras, tu peux faire ça vite. »
Temps de travail : concept visant à encadrer par une règlementation stricte le temps que vous passez à tenter d’appliquer les principes de la Charte d’Ottawa dans tous les lieux de travail en dehors du vôtre. A ce sujet, voici une donnée probante : tout professionnel plongé dans la promotion de la santé verra la notion de temps de travail devenir élastique. Ainsi, pour vous adapter à cette élasticité, vous ferez appel à quelques mantras : « Quand on aime on ne compte pas. », « Dans les associations, une part de notre temps est militant. », « Il faut bien avancer. », « Quand même, on fait un chouette boulot. », « Ben oui, mais sinon j’y arriverais pas. », « Le sommeil, c’est très surfait. ». Si vous avez déjà prononcé l’une de ces phrases ou si vous avez un mantra plus personnel, merci de prendre contact avec la rédaction qui transmettra au portail de données probantes : vous êtes un cas typique d’élasticotemporalité ottawesque.
« J’ai pas le temps » : expression prononcée chaque jour un nombre incalculable de fois par un nombre incalculable de personnes. Le plus souvent complétée par différentes activités : « J’ai pas le temps de lire. », « J’ai pas le temps d’écrire. », « J’ai pas le temps de me poser. », « On n’a pas le temps de se voir. », « Je n’ai pas eu le temps de manger. », « Ha, j’ai même pas eu le temps d’aller… », « J’ai pas eu le temps de répondre aux mails. », « J’ai pas eu le temps de finir. », « J’ai pas eu le temps de relire. »… Un tee-shirt « Aujourd’hui j’ai pas eu le temps » est en vente sur le site de la Fnes (Fédération nationale d’éducation et promotion de la santé), les bénéfices seront reversés sur mon compte épargne… temps !
Si vous venez de lire cette chronique une tasse de thé à la main, que votre ordi est fermé, que vous ne tournez pas la sauce du repas de ce soir en même temps et qu’en plus vous ne vous sentez pas coupable, vous avez gagné le second tee-shirt de la collection Fnes : « J’peux pas, je lis Horizon Pluriel. ». Portez-le de temps en temps et rappelezvous, encore un peu plus de 100 000 chroniques et c’est comme si vous aviez pris une année sabbatique !