Elle s’appellera Greta
Horizon pluriel n°38 /
Anne Laurent
Ce matin, Je me suis réveillée avec une impression bizarre… Que se passe -t-il ? Mais peut-être que… Noooon… Si je réfléchis bien, je n’ai pas utilisé ma culotte menstruelle en coton bio depuis un petit moment déjà ! Mais noon… Vite je saute sur mon portable et j’appelle ma copine Coraline pour partager mes doutes.
– Allo Cora ?
– Oui, tu appelles à une drôle d’heure ?
– Oui je crois que…
– Tu es enceinte !
– Ben comment tu le sais ? Tu crois qu’il faut que j’aille faire un test ?
– Ha oui alors, le test, j’ai lu que les tests de grossesse ce n’est pas terrible pour la planète : plastique, colorant rouge et c’est pas de la betterave pour le petit plus ou moins, et réactifs qui transforment les poissons rouges en beluga direct !
Ha moi qui pensais me précipiter à la pharmacie, bon j’y vais quand même. La tête du pharmacien quand je lui ai demandé s’il avait des tests de grossesse bio ! Il m’a regardée comme si c’était la première fois qu’une femme peut-être enceinte essayait de protéger l’avenir de son enfant encore au stade de la probabilité.
Bon, je repars avec le sésame en jurant de ne jamais avouer, même sous la torture, à Cora que si on retrouvait un beluga échoué sur une plage bretonne, ce serait peut-être un poisson qui aurait avalé mon… Profil bas, je rentre discrètement à la maison. Pour me faire pardonner promis, je planterai 3 arbres sur le site : « guiltytree ». C’est le super site où tu peux planter des arbres quand tu te sens coupable !
La tête du pharmacien quand je lui ai demandé s’il avait des tests de grossesse bio !
Bon, mon test ! J’attends, j’attends, ohhhhh… Vite j’appelle mon amoureux et 5 minutes plus tard, il débarque. Je m’attendais à ce qu’il saute de joie, qu’il m’embrasse fougueusement, mais non, je le retrouve la tête dans le frigo ! Il sort tout, lit les étiquettes et s’écrie toutes les 3 secondes : ça ?
Non ! Ça ? Non… Et jette chacun des produits à la poubelle avec des cris horrifiés : colorant E123 ; bisphénol 2012 dans l’emballage, billes de plastique dans le bouchon, pêche intensive : ce saumon biperait dans un aéroport tellement il est « mercuré », cette carotte est trop belle pour être honnête, non mais de l’huile de palme tu plaisantes, je rêve !!
Seul survivant de son tri plus que sélectif : un pot de moutarde bio à la violette rapporté d’un marché de producteurs et jamais ouvert. Que peut-on bien faire avec de la moutarde à la violette…
Mais s’il s’était arrêté là ! Il se précipite dans la salle de bain et là il recommence : produits ménagers, lessive, tout y passe !
Survivant : mon coton à démaquiller lavable que je suis priée dorénavant de laver à la main avec des copeaux de savon de Marseille râpés maison.
Je le regarde faire, totalement sous le choc. Je profite d’une accalmie pour demander au futur père si tout va bien ! Trop belle pour être vraie cette accalmie, il ne fait que reprendre son souffle !
Et il s’attaque à mes vêtements maintenant : polyester, jean pas cher fabriqué avec des produits corrosifs… la moitié de mon dressing va tenir compagnie au saumon et à ma lessive fleurs de cerisier parfum intense !
Je suis effondrée. Cela devrait être un des plus beaux jours de ma vie et il me reste un pot de moutarde à la violette, une robe d’été en coton alors qu’on est le 3 novembre, un coton à démaquiller, la perspective de voir un beluga se pointer avec mon test de grossesse entre les dents… D’ailleurs je ne sais même pas si ça a des dents.
Je crois que cette fois la crise est passée mais non ! Petit chéri allume son ordinateur et tape frénétiquement sur son clavier
« femme enceinte-planète et environnement ».
Et là !!! 213 333 sites s’affichent. Je regarde par-dessus son épaule et je lis : « Enceinte ? Les produits interdits. » ; « Ma grossesse sereine et sans danger. »… Quand mon œil tombe sur le blog : « Comment j’ai arrêté la moutarde à la violette pendant ma grossesse ? », je m’effondre !
Enfin Gaspard se lève et me prend dans ses bras. Il me dit, je suis tellement content et je voulais te dire. Si c’est une fille, on l’appellera Greta !