Éduquer à l’environnement et au territoire
Horizon pluriel n°39 /
Mathieu Bellay, co-directeur stratégie et partenariats au Réseau français d’éducation à la nature et à l’environnement (Frene).
Les liens avec notre environnement proche
L’éducation au territoire est une composante importante de l’éducation à la nature et à l’environnement. L’environnement lointain peut être un sujet d’étude, de questionnement ou d’émerveillement, mais c’est avec ce qui nous entoure, tel que notre lieu de vie, que l’on peut construire un réel lien. On ne protège pas ce que l’on connaît, mais ce que l’on aime. On peut aimer la savane et les baleines me direz-vous ? Certes, mais il est très complexe de tisser le lien qui nous relie au vivant et au monde qui nous entoure sans vivre des expériences concrètes, sensibles. L’écologie ne se construit plus sur la sauvegarde des ours polaires ou des palétuviers, mais avant tout sur celle de ces espèces proches qui disparaissent et souffrent de la crise écologique tout autant. Nous sommes passés de l’alerte des espèces menacées à l’autre bout du monde, à celle plus engageante de la disparition de nos oiseaux, de nos insectes et de nos forêts.
L’éducation au territoire consiste déjà à prendre conscience de ce qui nous entoure, à franchir la haie qui délimite notre jardin. Un enfant qui, lors d’un tir raté va chercher son ballon dans le jardin du voisin, accède à une nouvelle perception de son territoire. Cette limite, la haie, n’est pas une fin, un territoire se poursuit derrière. Son regard s’élargit en même temps que sa perception de l’environnement. De même que regarder une carte, chercher des raccourcis, marcher hors des sentiers l’enrichit.
L’éducation au territoire consiste déjà à prendre conscience de ce qui nous entoure, à franchir la haie qui délimite notre jardin.
Explorer le territoire
En formation, l’équipe du Frene invite les participants à explorer le territoire et ses composantes pour construire leurs projets. Par exemple, la technique de « carte parlante » consiste à aller en petites équipes explorer une zone autour du lieu du projet (centre d’accueil ou école par exemple). L’équipe est invitée à noter les éléments marquants : un lieu idéal pour un jeu, ou encore la présence d’un bosquet, d’un arbre à grimper, d’un ruisseau, d’une route très fréquentée, etc.
En fonction du projet, l’équipe peut identifier des choses plus techniques, par exemple : un château d’eau si le projet concerne la thématique de l’eau, un élevage s’il concerne l’alimentation. Au retour de cette exploration, chaque équipe rapporte ses notes sur une grande carte collective. Cette pratique change profondément les projets et incite à la découverte de son environnement proche. Ainsi, les projets sont imaginés dans un autre cadre : celui du territoire proche.
Une perception qui se rétrécit
Une étude du médecin britannique William Bird1 analyse la progressive perte d’autonomie de mouvement des enfants, qui ne peuvent quasiment plus se déplacer seuls. Ainsi, il fait le constat, en suivant une famille vivant dans le nord de l’Angleterre, d’une transition en quatre générations de 9 kilomètres à 300 mètres de distance parcourue seuls par les enfants.
Cette diminution drastique de l’espace de liberté s’explique par de nouveaux risques, liés en particulier à la multiplication des routes et des voitures. Mais elle est aussi liée à une peur accentuée des adultes du « dehors », hors du cadre, hors contrôle. Ainsi, comme l’explique François Terrasson « la peur de la nature s’accentue ».2 Un cercle vicieux s’installe. L’urbanisation éloigne la nature, celle-ci quitte notre quotidien et devient plus étrangère. Notre peur, ou au moins notre indifférence, ne nous engage pas à la protéger. Nous laissons, ou participons à la destruction des espaces de nature en proximité et l’urbanisation se poursuit.
Dynamique Sortir
Les écrans, « responsables » de tous nos maux, sont autant une cause, qu’une conséquence de ce mécanisme d’éloignement de la nature. C’est une des raisons pour laquelle la dynamique Sortir3 porte depuis 2013 un plaidoyer en faveur de l’aménagement de « coins de nature » proches des lieux de vies. Redevenus à la mode pour l’aménagement des ilots de fraîcheur, ils restent avant tout nécessaires pour ne pas être coupé de la nature. C’est d’ailleurs dans cette même intention que l’on promeut la pratique de l’école dehors depuis sa création en 2008.
Des inégalités territoriales, environnementales et sociales
Parmi les inégalités environnementales, la philosophe Catherine Larrère4 démontre comment la question du territoire est centrale : accès aux ressources naturelles, exposition aux effets d’un dérèglement de l’environnement (subit ou durable), inégalités face aux effets induits par les politiques écologiques (les éco-quartiers, la taxe carbone), etc. Ces questions étant systémiques, résoudre les défis complexes du XXIe siècle nécessite l’interdisciplinarité et le travail en partenariat. La responsabilité, les ressources et donc les solutions doivent être adaptées à des territoires et portées par des collectifs. C’est un des enjeux de l’éducation et promotion de la santé environnement (ESE). Ce champ d’action est né de la rencontre de l’éducation à la nature et à l’environnement et de l’éducation et promotion de la santé : « Afin de réduire les inégalités territoriales, environnementales et sociales de santé, l’ESE vise un renforcement du pouvoir d’agir des individus et des communautés sur leur santé, sur leur environnement et sur leurs interactions. Elle est mise en oeuvre à travers des processus d’éducation et d’accompagnement au changement, partant des personnes, pour leur permettre de développer des habiletés individuelles et collectives ».5 Education à la nature et à l’environnement, éducation au territoire, éducation et promotion de la santé environnement… autant de champs porteurs de solutions dont nous sommes les acteurs. Nous faisons notre part, mais au vu des enjeux et de l’urgence, il faudra trouver ensemble les moyens de transformer nos colibris en pélicans.
1Journal de Montréal, 20 janvier 2014, William Bird, médecin britannique qui a observé, entre 1926 et 2007, les habitudes de déplacements des enfants de huit ans d’une même famille – les Thomas – dans une ville du nord de l’Angleterre nommée Sheffield.
2La Peur de la nature est un essai de François Terrasson, publié en 1988 aux éditions Sang de la Terre, et réédité en 1991 puis en 2007.
3 Manifeste de la Dynamique Sortir !
4 Les inégalités environnementales, Catherine Larrère, PUF, 2017
Quelques mots sur le Frene
Le Frene, anciennement Réseau École et Nature, est né en 1983 afin de se mettre au service de tous les acteurs de l’éducation à l’environnement, dans le respect de leurs approches, de leurs appartenances et de leurs pratiques.
C’est une association d’acteurs engagés, artisans d’une éducation à l’environnement, source d’autonomie, de responsabilité et de solidarité avec les autres et la nature.
Plus d’infos sur www.frene.org